Quand le Temps travestit la laïcité

Mark Hunyadi, amateur universellement reconnu de la laïcité, nous gratifie, dans le Temps de cette fin de semaine, d'un article dithyrambique sur le Petit Manuel pour une laïcité apaisée (à l'usage des profs, des élèves et de leurs parents), dernier ouvrage de Jean Baubérot, et d'un groupe d'enseignants formant le Cercle des enseignant.e.s laïques, à la Différence.
"Rédigé d'une plume alerte et élégante", "didactique et à visée pratique de ce qu'est le principe républicain de la laïcité", "fil rouge (...) limpide", rempli d' "intelligence pédagogique" et d'un "immense mérite philosophique", ce petit ouvrage serait de nature à conforter les populations dans l'idées qu'elles tiendraient enfin une solution définitive, voire providentielle, à la question de la laïcité décidément si épineuse par les temps qui courent, et qui jette du désarroi autour de tant de barbecues helvétiques.
Malheureusement M. Hunyadi est totalement acritique et visiblement, sinon de façon délibérée, ignore tout de ce dont il nous fait ici un éloge très imprudent.
Jean Baubérot est pourtant connu comme un loup blanc parmi les laïques. D'abord, pour avoir été le seul membre de la commission Stasi à refuser la proposition de loi contre les signes religieux ostensibles à l'école, adoptée en France en 2004. Il se trouve que, contrairement à ce que M. Hunyadi croit bon de signaler ("Les auteurs n'ont (...) aucune peine à montrer que la loi de 2004 a provoqué l'exact contraire de l'apaisement des tensions qu'elle visait, augmentant la méfiance, engendrant des effets de stigmatisation, provoquant des déscolarisations forcées."), et comme l'indique le rapport Chérifi de juillet 2005 (1) - qui date un peu, il est vrai - , cette loi a à peu près résolu la question : les signes ostensibles non seulement islamiste, mais de toutes les religions, ont reculé, les filles ôtant leur voile avant d'entrer dans l'école, et le remettant à la sortie.
Néanmoins, Jean Baubérot, contre toute évidence, s'est fait depuis douze ans le contempteur acharné et spécialisé de cette loi, sans amener de preuves seulement documentées sur ses dangers supposés. Certes, dire, comme il le fait, que la laïcité s'adresse aux fonctionnaires mais pas aux usagers de l'école est exact. Mais si la commission Stasi a tenu à l'interdiction, c'est parce que des élèves non voilées subissaient les pressions de la part des loulous islamistes de leurs établissement en tant que "mauvaises musulmanes". Il était donc devenu nécessaire de protéger leur liberté contre ces menaces, et personne d'autre que l'Etat ne pouvait le faire. Et il devrait aussi intervenir à l'université, si les mêmes dangers surgissaient, au risque de plonger Jean Baubérot dans des apolexies. En revanche affirmer qu'elle a abouti à une stigmatisation générale des musulmans n'est rien d'autre que le fantasme ordinaire de tous ceux qui, en réalité, n'ont de cesse de vouloir détruire la laïcité, côté cour : les barbus et leurs idiots utiles.
Lesquels, de fait, le suivent de près. En effet, le collectif intitulé assez pompeusement "Cercle des enseignant.e.s laïques" - lequel regroupe en tout et pour tout cinq praticiens, merci pour la qualité sociologique du sondage... - se révèle à l'examen nettement orienté, comme suffit à le déceler une brève enquête, à laquelle M. Hunyadi aurait pu se livrer sans dépense excessive : outre Jérôme Martin, sans doute nouveau dans la coterie, Anaïs Flores, Paul Guillibert, Caroline Izambert et Florine Lepâtre sont signataires d'un manifeste intitulé :"Nous demandons l'abrogation de la loi dite "sur le voile à l'école", dans le numéro du 12 mars 2014 de Médiapart - outil de travail de ce grand ami de Tariq Ramadan qu'est devenu Edwy Plenel, et désormais organe théorique de l'islamo-gauchisme officiel.
Mieux : tous quatre appartiennent à la rédaction d'un journal en ligne, "Vacarme", qui se singularise, outre par un caractère très confidentiel qui contredit ses espérances, par des positions décolonialistes et racialistes anti-blancs (3), et dans lequel on peut lire un interview de Houria Bouteldja par Izambert et Guillibert (4). Précisons que "Vacarme" appartient aux éditions Les Prairies ordinaires, dirigées par François Cusset, célèbre chantre du multiculturalisme d'extrême-gauche, et signataire le 15 juin 2012 d'un texte tourné contre la condamnation des identités par le MRAP (5), aux côtés de Houria Bouteldja, Christine Delphy (féministe provoile connue), Rokhaya Diallo et quelques autres, parmi lesquels on compte, ne gâchons pas notre fierté patriotique, Jean Batou et Stéphanie Precioso, de l'université de Lausanne. Bref : la cour et l'arrière-cour du beau monde des Indigènes de la République, dont la culture du racisme à l'envers est de notoriété publique.
Voilà donc la vraie nature de ce que Mark Hunyadi nous présente avec un touchant enthousiasme comme le "rappel sobre et engagé" de ce qu'est la laïcité. En somme, c'est un peu comme si on nous résumait un précis de Staline pour comprendre ce qu'est le communisme, ou de Hayek ou Friedmann pour saisir le capitalisme. Une belle et sournoise arnaque éditoriale, et parlons net : de la daube journalistique de toute première bourre.
Il y a longtemps que nous autres laïques allons de surprise en déception lorsque nous lisons les rapports que nos médiatiques nous font sporadiquement sur ce qui touche à la laïcité en s'abreuvant toujours aux mêmes sources, soit politiquement correctes, soit multiculturalistes, soit carrément racialistes, l'air de rien, sans y toucher. Voilà la tradition dans laquelle s'inscrit aussi Mark Hunyadi. Dommage pour nous. Et pour les lecteurs du Temps.

Yves Scheller, 11 septembre 2016


(1) www.ladocumentationfrancaise.fr/…/rapp…/064000177.pdf
(2) https://blogs.mediapart.fr/…/nous-demandons-l-abrogation-de…
(3) www.vacarme.org/article2736.html
(4) www.vacarme.org/article2738.html
(5) http://rue89.nouvelobs.com/2012/06/15/racisme-anti-blanc-le-texte-de-la-mrap-preoccupant-232670